Cette présentation n’a d’autre but que de vous inviter à lire Napoléon tel quel dans son ensemble, afin, plus largement, de découvrir les ‘’manières de faire’’ utilisées par Guillemin pour analyser (et juger) un personnage ou les événements dans lesquels ce personnage joue un rôle.
Napoléon tel quel…
ou : pourquoi et comment Guillemin ‘’exécute’’tour à tour, en 158 pages, Bonaparte puis Napoléon
En 1969, Guillemin, publie aux Editions de Trévise, le texte repris intégralement dans le Livre de Poche en 1973, édition à laquelle je me réfère pour ce choix de « Bonnes pages ». L’ouvrage a été réédité par Utovie en 2005 avec un nouveau titre : Napoléon, légende et vérité. La pagination reste valable.
Guillemin se livre ici à une critique sans concession du personnage de Napoléon Bonaparte. Il construit et argumente un propos très largement à charge contre Napoléon Bonaparte, sa famille, ses partisans. Il est difficile de trouver, dans ces 158 pages, des faits ou opinions à la décharge de Napoléon.
Sources citées par Henri Guillemin
(HG=Henri Guillemin)
Quatre auteurs contemporains de Napoléon, à partir de leurs Mémoires, Cahiers et Journal :
- La Révellière-Lépeaux, Louis-Marie de (1753-1824), Mémoires, Paris, 3 vol., 1895
- Bertrand, Henri Gatien, comte de (1773-1844), Cahiers de Sainte Hélène (avril 1816-mai 1821)- Cf, note bas de page de HG, p 25 : « Ces Cahiers n’ont été complètement déchiffrés qu’en 1958, grâce à M. Fleuriot de Langle qui a fourni là, pour la connaissance du vrai Napoléon Bonaparte, un document de premier ordre.»
Des citations des auteurs qui suivent sont reproduites par HG, mais il n’indique pas toujours exactement le titre de l’ouvrage. J’extrais, néanmoins, de la bibliographie de chacun d’eux, les travaux qui se rapportent à la période dans laquelle s’inscrit HG :
- Rœderer, Pierre- Louis (1754-1835), Journal du comte Rœderer, 1909 (référence citée p 110) ; HG parle aussi des « Mémoires de Roederer, édition de 1942 ».
-Mollien, Nicolas François, comte de (1758-1850), Paris, 1898, 3 vol, Mémoires d’un ministre du Trésor public, 1780-1815. (HG ne mentionne que Mémoires, sans préciser s’il se réfère à cette édition, la plus récente)
Quatre historiens postérieurs à Napoléon:
- Vandal, Albert (1853-1910) : L’Avènement de Bonaparte, 1902.
- Hanotaux, Gabriel (1853-1944) : Histoire de la Nation française (15 volumes).HG n’indique, ni le titre, ni l’édition.
- Madelin, Louis (1871-1956) : Le Consulat de Bonaparte, 1929 ; Le Consulat et l'Empire, 2 vol ,1932; Histoire du Consulat et de l'Empire, 16 vol., 1937-1953 ; Lettres inédites de Napoléon à l'impératrice Marie-Louise, écrites de 1810 à 1814, 1935
- Bainville, Jacques (1879- 1936) : Le Dix-huit brumaire, 1925 ; Napoléon, 1931 ; Bonaparte en Egypte, 1936, (posthume).
Les partis pris de Guillemin
Dès le chapitre premier, intitulé « Le petit chacal », le ton est donné, Guillemin annonce ses choix : « Pamphlet ? Ce mot sert à désigner la vérité qui déplait. De même que « faire de la politique » (la chose étant dite avec une nuance de mépris), cela signifie, trop souvent, avoir, en politique, une option qui n’est pas celle des gens de bien. »
« Il est parfaitement vrai que je n’aime pas Napoléon Bonaparte. Et j’ai dû faire, à son égard, un sérieux redressement personnel. Car j’avais été mis en conditions, sur son compte, comme tous les Français de ma génération et des générations antérieures. Elève des écoles laïques, d’un bout à l’autre de mes études (et je suppose que c’eût été pire si j’avais été soumis à l’enseignement confessionnel), j’ai été dressé dans le culte de l’Empereur. Il m’a fallu lutter contre moi-même pour comprendre enfin de quoi j’avais été victime. » (p9)
« Je souhaiterais apporter quelques clartés sur les comportements et l’identité intérieure de l’aventurier corse devenu, par les chemins qu’il faut connaitre et grâce à des concours indispensables et bien calculés, le maitre absolu de la France durant les quinze années qui aboutirent à laisser ce pays exsangue, ruiné et réduit à des limites plus étroites même qu’en 1792. » (p11-12)
Un jeune homme ambitieux, comme militaire et comme politicien, se manifeste, en Corse tout d’abord. Après avoir tenté de s’y imposer, en s’alliant au patriote Paoli, Napoléon Bonaparte, tente le chemin inverse : s’allier aux forces politiques françaises (du ‘’continent’’), représentées par les élus de la Convention.
Contexte : la Convention nationale a été installée le 21 septembre 1792 et dissoute le 26 octobre 1795. Elle fonde la Première République (Constitution de l’an I). Composée de 749 députés, élus au suffrage universel masculin, presque tous issus de la bourgeoisie et des professions libérales. Trois grandes périodes dans ses orientations : la Convention ‘’girondine’’ jusqu’en 1793 (‘’modérée’’) ;‘’montagnarde’’(‘’gauche’’), jusqu’au 9 Thermidor, mort de Robespierre ; ‘’thermidorienne’’ enfin, jusqu’au 26 octobre1795 (alliances composites de modérés) ; prépare le rétablissement du suffrage censitaire, qui figurera dans la Constitution de l’an III, fondement du Directoire ; ensuite, avec le Consulat de Bonaparte (Constitution de l’an VIII), le suffrage universel est rétabli en droit, mais non appliqué : les candidats sont choisi par les gouvernants et les « autorités » sur des listes de ‘’notabilités’’ qui leur sont proposées par des citoyens.
Bonaparte joue sans cesse un jeu d’alliances diverses visant à progresser dans la hiérarchie militaire et à consolider sa famille et ses partisans.
Guillemin commente ainsi :
« En 1793, Napoléon change de camp et passe du côté de la force. Il n’est point parvenu à supplanter Paoli et à faire de la Corse sa principauté personnelle ; il rejoint donc la Convention et se mue en Français cent pour cent, patriote avec passion, et révolutionnaire extrémiste. » (p23). « Le 11 juin 1793, la tribu s’expatrie. C’est maintenant sur le continent, en France même que l’aventurier va tenter sa chance, sous son travestissement de sans-culotte. Finie pour lui, la Corse, comme terrain de chasse ou tremplin. Il gardera toujours rancune à la Corse d’avoir ainsi trompé ses espoirs.» (p 24).
« Et voici la dernière pensée de Napoléon sur la Corse ; nous la trouvons dans les Cahiers du général Bertrand, le fidélissime, sous la date du 24 février 1821, à Sainte-Hélène : ‘’La Corse est un inconvénient pour la France ; c’est une loupe qu’elle a sur le nez. Choiseul disait que si, d’un coup de trident, on pouvait la mette sous la mer, il faudrait le faire. Il avait raison.’’ »
« Ce qu’il faut bien comprendre, lorsque l’on parle de Napoléon Bonaparte, est que toute idée largement humaine lui est étrangère ; il n’a qu’un seul dessein : son avancement à tout prix et par n’importe quel moyen. Il veut parvenir ; il veut la richesse et toutes les jouissances qu’elle procure. Le sort l’a fait officier ? C’est bon. » (p 27) « Récapitulons : 1785, sous-lieutenant ; 1791, lieutenant ; 1792, capitaine ; 1793, commandant ; sa carrière va bien. » (p 35) « Le 19 janvier 1794, voilà Napoléon Bonaparte général de brigade. Le jacobinisme robespierriste réussit à l’aristocrate séparatiste de l’avant-veille.» (p 37).
Les étapes de la conquête du pouvoir : du petit soldat au Grand Empereur
Après l’élimination de Robespierre, le 28 juillet 1795 (10 thermidor), Bonaparte cherche d’autres voies d’ascension et de richesses. Il sera, écrit Guillemin, un « général de guerre civile ».
« Au lendemain de Thermidor, Bonaparte est parmi les vaincus et c’est une position qu’il ne saurait goûter, Dieu sait pourtant s’il avait renié Robespierre avec une ardeur extrême, dès qu’il l’avait vu tomber (…) Il est repéré, chez les Thermidoriens, comme suspect, dépeint comme ‘’ l’intrigue et la fourberie personnifiées’’. Si seulement il pouvait réussir une belle opération guerrière ! » (p 38-39).
Le gouvernement hésite. Que faire ?
- Tentative de reconquête de la Corse ? « La ‘’promenade militaire’’ aura lieu, et s’achèvera en quarante-huit heures par un désastre naval, les bateaux français immédiatement hachés par la flotte anglaise. » (p 40) ;
- Eloigner Bonaparte en Vendée ? Il obtient un congé de maladie. « Son refus de servir en Vendée, M. Madelin l’expliquait ainsi :’’Il répugnait à Bonaparte, par une sorte d’instinct, de prendre part à une guerre civile’’. Joli, non ? Et le siège de Toulon, alors, rien d’une ‘’guerre civile’’ »?
- On demande, en Turquie, des instructeurs français ? « Bonaparte s’est porté tout de suite candidat, pour ce qu’il prend pour un Eldorado. Mais l’affaire tombe à l’eau. (…) Le 15 septembre 1795, le Comité de Salut public le met à pied, tout bonnement. Le général Napoléon Bonaparte est placé en disponibilité. C’est du propre ! » (p 42-43)
La Convention thermidorienne, après l’élimination de Robespierre et sa ligne ‘’radicale’’ veut conserver, lors de nouvelles élections, les élus favorables à la République. Mais les royalistes s’y opposent et manifestent. Ils sont réprimés par Bonaparte et Murat. Pour Bonaparte, peu importe le régime ! Sa carrière en premier ! C’est le mitraillage de Vendémiaire, le 5 octobre 1795 à Paris.
« Les royalistes préparent un soulèvement contre les thermidoriens. Il faut à Barras des hommes de main. Barras fait de lui, au lendemain de la mitraillade, le commandant en chef de l’Armée de l’Intérieur. C’est merveilleux. Des flots d’or. (…) C’est Toulon qui l’a fait général de brigade, et c’est Vendémiaire qui le mue ne général de division, régnant militairement sur Paris. Son ascension est celle, il faut en prendre clairement conscience, d’un général politicien, d’un général de guerre civile.» (p 43-44)
26 octobre 1795 : dissolution de la Convention. Le Directoire lui succède, sur la base de la Constitution de l’an III. Il conserve… la République, mais rétablit le suffrage censitaire, à deux degrés. Le Directoire se prépare à jeter sur l’Italie une armée d’invasion, pour contenir l’influence autrichienne.
Bonaparte en sera le général en chef (2 mars 1796) ; le 9 mars il épouse Joséphine de Beauharnais.
La campagne d’Italie
« Le Directoire ne veut de l’Italie que comme gage contre la rive gauche du Rhin. Telle n’est pas du tout l’idée de Bonaparte. Il veut faire de l’Italie du Nord une possession personnelle. » (p 52).Il signe un armistice avec l’Autiche de manière à passer pour le général de la Paix (Traités de Leoben, puis de Campo Formio)
« Bonaparte le victorieux, le pacificateur, reparait à Paris le 5 décembre 1797, après vingt mois d’absence. » (p 55)
« Talleyrand venait d’apparaitre aux Affaires étrangères. Il joue, avec Bonaparte, un jeu singulier. Sur le chapitre de l’argent, Talleyrand et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau (…) A ce militaire totalement abusif qui a signé la paix de Campo Formio sans autorisation du gouvernement, mieux même, contre ses instructions explicites, Talleyrand lui écrit : ‘’Voilà donc la paix faite, et une paix à la Bonaparte- c’est à dire, grosse d’une nouvelle guerre, remarque Guillemin. Recevez- en mon compliment de cœur, mon général.’’ « Le ‘’cœur’’ de Talleyrand ! », ironise Guillemin (p 57-58) Le 5 mai 1798, le Directoire nomme Bonaparte chef de l’expédition d’Egypte.
L’Egypte
« C’est Talleyrand qui va le pousser du côté de l’Egypte (Bonaparte prétendra plus tard que les Directeurs, en 1798, l’ont ‘’déporté’’ en Egypte, parce qu’il les gênait pour sauver la France (…) Le 20 février 1819, il ne cachera point à Bertrand qu’il vivait, là-dessus, d’illusions : ‘’Je n’aurais pas fait l’expérience d’Egypte, si je n’avais été trompé sur les richesses du pays.’’ » (p 59-60)
Une fois en Egypte, « ses convoitises ont maintenant pour objet les trésors de l’Asie.» Pays difficile à ‘’pacifier’’ : impossibilité de passer au-delà de Saint- Jean d’Acre ; troubles en France ; reprise de la guerre en Italie ; conduite scandaleuse de son épouse.« Regagner Paris, absolument, au plus vite.» (p 66)
« Bonaparte débarque dans la baie de Saint-Raphaël, lé 9 octobre1799 ; dans un mois, jour pour jour, ce sera le 18 brumaire, 9 novembre 1799. »
Coup d’Etat des18-19 Brumaire (9-10 novembre1799), fin de la Convention thermidorienne. Coup de force de Bonaparte et de ses complices au sein même du Directoire ; une ‘’commission consulaire’’ est formée ; elle déclare la déchéance de 91 élus. Instauration du Consulat, le 13 décembre ; constitution de l’an VIII. Trois consuls nommés pour dix ans, dont seul, le Premier, Bonaparte a le pouvoir.
La proclamation consulaire du 15 décembre 1799 juge cette Constitution ‘’fondée sur les droits sacrés de la propriété, de l’égalité et de la liberté’’ et conclut : ‘’Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée, elle est finie ! »
« Un général politicien » au pouvoir
« Le coup d’état du 18 Brumaire revêt sa signification précise et authentique lorsqu’on envisage ce qui s’est passé depuis 1789 et que l’évènement prend la place qui lui revient dans la suite des choses. Au cours du 18e siècle, une classe nouvelle s’est constituée, au sommet de la roture ; la classe des affairistes, grands commerçants, manufacturiers, banquiers ; c’est la richesse mobilière. La richesse immobilière (aristocratie, clergé) tient tout, grâce au Roi ; c’est elle qui, pratiquement, gère l’Etat ; et elle s’exempte d’impôts (…) Barnave, employé des Périer-les Périer sont parmi les représentants exemplaires de la classe montante- Barnave professe qu’une ‘’ nouvelle distribution de la richesse appelle une nouvelle distribution du pouvoir’’. » (p 70)
Signification de cette prise du pouvoir : « Albert Vandal confirme (dans l’Avènement de Bonaparte) : les conjurés-Sieyès-Talleyrand-Bonaparte, ‘’sentaient derrière eux la classe possédante’’ ; ‘’les tripoteurs flairant une affaire énorme’’. »
« C’est ça, Brumaire, dans sa vérité historique » : rétablissement des ‘’délégations’’ aux fournisseurs de l’Etat pour les préserver des impayés ; abandon du projet d’impôt progressif. « Papa Necker exprime sa joie dans une lettre à sa baronne de fille » (Germaine de Staël) : ‘’Il y aura un simulacre de République et l’autorité sera tout entière entre les mains du général’’ ; ‘’le nouveau régime donnera beaucoup aux propriétaires’’. »
Quant à certains historiens postérieurs : « Un soldat ‘’jailli des entrailles de la France’’, déclare Louis Madelin, ‘’apportait avec lui deux prodigieuses nouveautés : l’ordre et la confiance.’’ L’ordre, c’est-à-dire, le retour absolu au système d’exploitation qu’avait voulu briser Robespierre et les siens. La confiance de qui ? Des affairistes. Quant à Jacques Bainville qui, contrairement aux affirmations les moins équivoques de Napoléon lui-même, soutient :’’La situation avait déterminé l’appel au soldat’’, il évoque avec nostalgie le ‘’trop bref âge d’or’’ qui s’inaugurait en Brumaire. » (p 70-78)
Les menaces contre la République, puis sa disparition
« Ce général politicien a tout de suite saisi la méthode ; et, de même qu’il a fait crier, par affiches, ’’Vive la République ‘’, le jour où il l’assassinait, de même le gouvernement qu’il va établir, aura, dit-il, pour caractère éminent, d’être ‘’national’. Confidence souriante de lui-même à Roederer, rapportée dans ses Mémoires : ‘’Il faut mettre de la confiture autour des paroles’’. L’ingrédient de base dans la confiture-Bonaparte, c’est précisément ce mot-là : ‘’national ‘’. ‘’Je suis national’,’ répète à satiété le Consul :’’Je ne veux plus entendre parler de ‘’partis’’ ;’’je ne suis d’aucune coterie ; je suis de la grande coterie du peuple français’’.» (p 80)
« Avec les ex-Girondins, les ex-Constitutionnels de 1789, en revanche, l’entente est facile. Les robespierristes et babouvistes, en revanche, ceux-là doivent être exterminés. » (p 81)
Autre grand thème agité par Bonaparte : « ‘’Fusion’’, ‘’réconciliation’’, ’’unité nationale’’. A qui s’adresse-t-il en fait ? Aux monarchistes. » (p 82). « La voilà, la fusion que Mollien, le trésorier, célèbrera dans ses Mémoires comme un ‘’rapprochement magique’’. Ma foi, non ; rien de magique dans ce ralliement ; rien que de très explicable.» (p 83).
En bref : « La ‘’restauration de l’Etat’’ (style Madelin), comment s’accomplit-elle ? La Constitution de l’an VIII a ceci de particulier que le peuple, désormais, et de par la loi, n’a plus la parole. Le Premier Consul détient la plénitude de l’exécutif. Le peuple n’élit plus de représentants. On prie simplement les gens les plus distingués du pays -c’est-à-dire les plus riches- de proposer, de recommander, des listes de notables parmi lesquels sont choisis les membres des deux assemblées, maintenues en trompe-l’œil. » (p 84)
« C’est la disparition radicale de la République, le régime républicain étant celui, spécifiquement, où la nation gère ses affaires. »(p 85)
Mise au pas de la presse, des juges, etc. Création de la Banque de France :
« La Banque en formation, Bonaparte l’a autorisée, car avec ‘’de France’’, cela fait très « national ». Manière de donner le change à l’opinion et de faire croire aux Français que cet établissement était leur Banque à eux, au service de la France. Or, il s’agissait d’une maison privée, pareille aux autres, mais dotée d’une enseigne frauduleuse. » (p 88). « Or, Bonaparte lui accorde, notamment, le droit exclusif d’émettre du papier-monnaie, c’est-à-dire, observe Mollien, le partage ‘’d’une des prérogatives du gouvernement, celle de créer une monnaie’’. » (p 92)
Premier Empire (mai 1804-mai 1814)
Par le Concordat de 1801, signé entre Bonaparte Premier Consul et le Pape Pie VII : l’Eglise s’engage à ne pas revendiquer les biens du clergé nationalisés pendant la Révolution ; le gouvernement assure aux évêques et curés un traitement convenable. Cet accord restera en vigueur jusqu’à la séparation des Eglises et de l’Etat, en 1905.
« La légende veut que Bonaparte ait ‘’restauré les autels’’ et ‘’rendu la liberté au culte’’(…) Bonaparte aurait restauré les autels ? Mais ils étaient parfaitement relevés avant lui. En 1799, 40 000 paroisses avaient retrouvé leurs desservants. Il a libéré le culte ? La vérité est littéralement l’antithèse de cette assertion. Le culte était libre. »
Et les prêtres? « C’est une nouvelle Constitution civile du clergé que Bonaparte veut établir, et dans le même dessein que celle, maintenant caduque, établie antérieurement par les notables de la Constituante, afin de procurer à son pouvoir une armée de prêtres fonctionnaires, des prêtres qu’il tiendra aussi fermement ‘’dans sa main’’ que lui-même est ‘’dans la main’’ des financiers » (p 94-95)
Décembre 1804 : Sacre de l’Empereur à Notre-Dame de Paris par le Pape Pie VII. Le 31 décembre 1805, le calendrier républicain est aboli ; retour au calendrier grégorien.
César, l’Empire, la Guerre …
« Au lendemain de Brumaire, il avait réduit à treize, y compris Le Moniteur, les journaux autorisés. En 1803, il a ramené leur nombre à huit ; ces huit journaux totalisent 18 630 abonnés, sur 27 à 28 millions de français. Telle est la diffusion de la presse, sous le Maitre. »
Bonnes paroles échangées entre le Pape et le nouvel empereur, lors du Sacre de Napoléon : « Le pape vient à Notre-Dame. Il dit: ‘’Dieu tout puissant et éternel, répandez par mes mains le trésor de Vos grâces et de Vos bénédictions sur Votre serviteur Napoléon que Nous consacrons aujourd’hui empereur en votre nom.’’ ». Et ledit Napoléon, à son tour : ‘’Je jure de faire respecter les lois du Concordat […], l’égalité des droits, la liberté civile et politique et l’irrévocabilité de la vente des biens nationaux.’’ » (p 103)
« La paix de Lunéville, en 1801, avec l’Autriche, répète en l’aggravant, Campo Formio. (…) Napoléon est l’envahisseur type. Il transforme la France en une pieuvre. Le 11 avril, le Piémont est brusquement mué en ‘’division militaire’’, prélude à l’annexion ; le 27 mai 1802, Bonaparte, à l’improviste, fait main basse sur l’ile d’Elbe. (…) Parallèlement, c’est le racket. » (p 113-115)
L’épopée tourne mal
Napoléon et l’argent : « Une des choses les plus drôles, concernant Napoléon vu par ses historiographes, c’est le thème, établi comme un dogme, de son indifférence à l’argent (p 121).Qu’est-ce donc que ce Domaine Extraordinaire, qui s’est d’abord appelé en 1805, Trésor des Braves’? Il s’agit de sommes prélevées par l’empereur sur les indemnités imposées aux vaincus, autrement dit sur les produits de son banditisme .Car, c’est un article essentiel de sa politique étrangère, et de sa politique tout court, que la guerre doit ‘’rapporter’’. Ce principe- là, tout à fait girondin, et fondamental chez Carnot, Bonaparte en fera sans cesse, vastement, l’application. Le 5 octobre 1809, après Wagram, il écrivait à son trésorier, Mollien :’’Cette campagne ne m’a pas rendu autant que la précédente ; par les articles secrets du traité, je recevrai quelque 100 millions.’’ » (p 123)
« Le nombre des journaux autorisés descend à quatre en 1811.Si la presse s’étiole, les prisons, en revanche, prolifèrent ; quatre de plus, dites ouvertement, ‘’prisons d’Etat.’’ » (126)
Les conquêtes en Europe : « Le 30 mars1806, Napoléon Bonaparte annonce par décret l’édification de ce ‘’Grand empire d’Occident’’, dont dit-il, ’’La Providence lui a inspiré la pensée.’’(129) L’épopée napoléonienne, gluante de sang, ne revêt toute sa dimension que si les chiffres l’accompagnent. Austerlitz ? 23 000 morts ; Eylau ? 50 000 hommes tombent. Wagram ? Napoléon y bat son propre record : 55 000 tués, qu’il surpassera à Borodino, qui coûte aux deux armées quelque 80 000 soldats. » (132)
L’échec du Blocus contre l’Angleterre : « Le drame qui s’annonce, pour Bonaparte, vient de ce blocus qu’il a imaginé contre l’Angleterre pour lui fermer tout le marché continental et jeter sur l’Europe ce que M. Bainville appelle, avec une religieuse grandeur, la ‘’tunique sans couture’’, autrement dit une camisole de force. Des guerres nouvelles en sortiront, pour contraindre les récalcitrants ? Et après ? Occasions de nouveaux pillages et de belles rentrées dans le Domaine Extraordinaire. » (135)
La fin
« Napoléon Bonaparte dirige contre la Russie en 1812 une ‘’croisade européenne’’ ; c’est sa formule. Sous lui, l’Europe se lève contre ‘’la barbarie Tartare’’. L’armée-Babel qu’il a réunie compte près de 700 000 hommes, mais il y a là quelque 400 000 Allemands, Polonais, Italiens, Hollandais, Suisses même. Il s’imagine que ces asservis vont se faire tuer en sa faveur pour alourdir encore leur servage, alors que la plupart n’attendent que l’occasion de briser leurs chaines. » (p 137)
Inquiétude, même chez ses partisans. « Et le Blocus ! Et le commerce qui ne va plus ! Et les impôts qui vont surement augmenter ! Mollien constate que la hargne grandit chez les personnes distinguées : ‘’propriétaires et négociants ne voyaient pour eux que la perspective de charges nouvelles’’. » (p 140)
3 avril 1814 : Napoléon est déchu par le Sénat, puis relégué à l’ile d’Elbe. Louis XVIII fait son entrée à Paris. Par la Charte, le roi reconnait les principes de 1789 (liberté, égalité, fraternité) et la limitation du pouvoir royal par les deux chambres. C’est la première Restauration (mai 1814-juillet 1815). Puis les Cent-Jours (mars-juillet 1815), ultime tentative pour Napoléon de retour au pouvoir. Les Bourbons reviennent ensuite.
- Au mois d’avril 1814, l’ex-empereur battu, prisonnier, est escorté jusqu’à la côte, en route vers l’ile d’Elbe. « Le cortège comprend quinze voitures ; Bonaparte est dans une berline de luxe, avec un lit. Il n’est pas de mauvaise humeur, car il emporte plusieurs millions. » (p 144)
-Il pense tout de même à un débarquement de reconquête du pouvoir, en France. « Mais alors, si la petite plèbe, toujours fascinée, l’acclame, les Importants, les Installés, les hommes de la finance et du négoce lui font grise mine ; plus que grise mine ; ils se dérobent ; ils préféreraient cent fois Louis XVIII. » (p 148)
- « Vinrent, ensuite, les années de Sainte-Hélène, où sous les travestissements de la légende, les humeurs réelles, la conduite réelle et les vrais propos du Sire en chômage, sont, dit très bien Audiberti, ’’à faire pitié’’. » (p 148)
- « Son estomac commença à le faire beaucoup souffrir au début de l’année 1821 et ses derniers mois furent cruels ; il se lamentait. » (154)
- « La France a vu sa jeunesse fauchée, et les cadavres de ses enfants en pyramides monstrueuses. Elle est maintenant amputée de la Sarre et de la Savoie ; elle a 700 000 millions d’indemnité à verser aux envahisseurs qui l’occuperont pendant trois ans. » (p 155)
- «Napoléon, le fier-à-bras avait clamé, le 29 octobre 1803 : ‘’Je planterai mon drapeau sur la tour de Londres’’. Il ne plantera jamais son drapeau sur la tour de Londres et mourra paisiblement dans son lit. Mais un million d’hommes, par sa grâce, mourront d’une autre manière, dans les carnages de sa ‘’gloire’’. Et le malheur de mon pays fut que ce forban (‘’incomparable météore’’ dit Jacques Bainville), pour ses interminables razzias, s’était procuré, comme tueurs, les conscrits français. » (p 117)
Pour aller plus loin…
Guillemin, dans ses travaux, et selon son habitude, focalise son analyse, ses remarques, le plus souvent sur des personnages, et non sur des institutions. Il procède ainsi, lorsqu’il aborde les sujets classés en histoire ou en littérature. Ici, le personnage central est Napoléon (et sa famille, ses partisans). On ne s’étonnera pas, de ce fait, qu’il ne s’attache pas particulièrement à étudier l’œuvre de Napoléon comme bâtisseur de la France moderne, aspect fréquemment souligné chez la plupart des historiens.
Guillemin est, néanmoins, très attentif au traitement que les personnages font subir à ce qu’il admire dans l’histoire, par exemple les principes de 89 ; notamment les accommodements que les hommes politiques font subir à la République. Mais aussi, se demande-t-il : qu’en est-il du ‘’droit sacré de propriété’’, de la liberté de pensée, incluant la liberté religieuse ?
Ses autres ouvrages, ses nombreuses conférences enregistrées, développent des aspects minorés dans ce Napoléon tel quel.
Pour aller plus loin, il convient donc de se référer à « Guillemin tel quel », dans ses autres écrits et dans ses paroles, lors de ses innombrables conférences…